Né à Liveni en 1881 et mort à Paris en 1955, Georges Enesco fut un enfant prodige. Après ses études viennoises (il y rencontra le vieux Brahms) puis parisiennes avec Gabriel Fauré, il devint un musicien universel : violoniste exceptionnel, pianiste, chef d'orchestre, enseignant puis organisateur au sein de la vie musicale roumaine. En lui résonna toujours une polyphonie spatiale et historique : sa Roumanie natale (sorte d'îlot latin dans un domaine slave et accueillant une minorité germanique) se situait aux marches de l'univers byzantin, de l'Orient et de la si diversifiée Europe. En lui résonna toujours une polyphonie culturelle, conciliant sa terre moldave, l'univers brahmsien et viennois ainsi que la poésie fauréenne. Enesco étonne aussi par sa ténacité et sa capacité à faire longtemps mûrir ses œuvres les plus essentielles : son opéra Œdipe (vingt-cinq années) ou son Quatuor à cordes n° 2 (trois décennies). Sans parler de sa rigueur à son endroit : ne reconnaissant que vingt-trois de ses œuvres, il laissa à l'écart nombre de partitions, inachevées ou complètes. Même si l'œuvre d'Enesco fait la part belle aux cordes, seules, en petit effectif ou pour orchestre de chambre, il n'en affronta pas moins le domaine symphonique, l'opéra et les formes « savantes ». Ses mélodies ou ses partitions à résonance « folklorique » frappent également par leur intimité. Le langage musical d'Enesco est certes classique, d'obédience fauréenne. Mais il recèle une impressionnante ductilité rythmique et nombre d'expériences modales, chromatiques, harmoniques (le quart-de-ton dans sa Sonate n° 3) et déclamatoire (dans Œdipe). L'universalité musicale et stylistique d'Enesco tend, non vers le syncrétisme (trop souvent artificiel), mais vers la sédimentation des mémoires culturelles européennes et orientales. De là surgit toute sa fière beauté.