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Duparc, Henri

Ce titre n'est pas celui d'un roman d'Agatha Christie, mais résume assez bien l'étrange et poignante existence d'un compositeur né l'année des révolutions de 1848, mort en 1933 qui vit Adolf Hitler accéder au pouvoir.

De cette très longue vie n'ont subsisté que dix-sept mélodies et deux brefs ouvrages symphoniques : Lénore et Aux étoiles.

C'est peu par la quantité, immense par la qualité : l'invitation au Voyage, La chanson triste, Phidylé ou La vie antérieure sont de véritables diamants de la musique française, comparables selon de nombreux critiques, aux plus beaux lieder de Schubert.

Eugène Marie Henri Fouques Duparc est bien né, très bien né même. Il descend d'une famille d'ancienne chevalerie, c'est à dire réputée noble aussi loin que l'on puisse remonter dans le temps. Son père, Louis-Charles, sorti de Polytechnique, est directeur général des chemins de fer de l'Ouest. Quant à sa mère, Frédérique Amélie de Gaïté, elle est de noblesse Lorraine, auteur de quatre ouvrages religieux destinés à l'enfance.

Il fait des études au Collège de Vaugirard dirigé par un jésuite, le Père Olivaint. Il s'y montre bon élève, doué pour les langues peut-être un peu écrasé par une éducation sévère. Il est encore élève lorsqu'il compose six Rêveries pour piano. 

Tous les éléments de l'aristocratie de la Restauration expiant le libertinage des ancêtres du XVIIIe siècle, sanctionné par la Révolution, caractérisent son enfance et sa jeunesse, austère et janséniste. Son père, «le meilleur des hommes mais totalement fermé à la musique» (lettre à Jean Cras), le pousse à s'inscrire en faculté de droit. Parallellement il suit l'enseignement musical de César Franck qui le considère comme «le mieux doué de ses élèves». Peu après, il s'éprend d'une jeune écossaise Ellie Mac Saviney. En cette circonstance, «le meilleur des hommes» se montre peu commode et impose aux amoureux un délai probatoire de trois ans. C'est à cette époque que Duparc se met à écrire des mélodies. L'une d'entreelles intitulée Soupir lui permet de faire comprendre à sa mère la profondeur de son amour pour Ellie, mère qui, dès lors, «plaide sa cause» auprès de son père. Etrange combinaison du romantisme et du jansénisme puritain !

En 1870, une crise d'agoraphobie lui interdit la place de la Concorde (souvenir de la Révolution ?). Il échoue à sa licence de droit et rejoint, lors de la guerre le 18e bataillon de gardes mobiles. Il écrit à cette époque l'Invitation au voyage, La Fuite, La Vague et la cloche.

En 1871, il épouse sa bien aimée, se consacre à la musique et fonde avec Alexis de Castillon et quelques amis la société Nationale de Musique destinée à défendre la musique française contemporaine. En 1885, il entreprend la composition d'un opéra, La Roussalka, d'après une nouvelle de Pouchkine et est élu maire de Marnes-LaCoquette.

Il démissionne quelques mois plus tard et renonce également à la musique. Mélancolie et crises mystiques alternent et se combinent en lui. Il brûle nombre de ses œuvres dont la Roussalka qui était semble-t-il, très avancée.

Il s'en explique ainsi à Jean Cras : «…Après avoir vécu 25 ans dans un splendide rêve, toute idée de représentation m'était - je vous le répète - devenue odieuse.

L'autre motif de cette destruction, que je ne regrette pas, c'est la complète transformation morale que Dieu a opéré en moi il y a 20 ans et qui en une seule minute a abolie toute ma vie passée. Dès lors, la Roussalka n'ayant aucun rapport avec ma vie nouvelle ne devait plus exister». (19 janvier 1922).

Mélancolique, réfugié dans les Pyrénées puis à Vevey en Suisse, il subit une bénéfique influence d'Ernest Ansermet qui le remet au travail, parvient à lui faire orchestrer son nocturne Aux Etoiles, plusieurs mélodies et une Danse lente fragment de la Roussalka. Le 17 octobre 1912, le chef suisse fait triompher Duparc à Montreux. Dans quelles tensions mystiques et amoureuses se débattait donc celui qui composait sur un poème d'Armand Sylvestre intitulé Testament :

«Toute ma sève s'est tarie
Au clairs midi de ta beauté,
Et comme à la feuille flétrie,
Rien ne m'est resté

Mais avant qu'il ne te les porte
Sur l'aile noire d'un remords,
J'écrirai sur la feuille morte
Les tortures de mon cœur mort».

Ce mystique n'a écrit qu'une œuvre religieuse mais chanté l'amour sur les paroles des poètes les plus sensibles et profanes.

Philippe LETHEL