Né en 1924, Claude Ballif connut des apprentissages musicaux différés par l’histoire, tant familiale (au gré des affectations militaires de son père, officier supérieur, notamment à Madagascar ou à Bordeaux) que par le cours de l’histoire (la Seconde guerre mondiale). Le socle de sa culture générale et son entendement de la musique étaient constitués quand, après de premières solides études musicales au Conservatoire de Bordeaux entre 1942 et 1948, il entra au Conservatoire national supérieur de musique de Paris en 1948 (notamment, il y étudia la composition avec Tony Aubin et l’analyse musicale avec Olivier Messiaen). En 1951, déjà souverainement épris de sa liberté, il en démissionna sans le moindre diplôme. De 1954 à 1959, son installation en Allemagne lui fut profitable ; grâce à une bourse du DAAD, il étudia au Conservatoire de Berlin avec Boris Blacher et Josef Rufer ; puis, pendant trois étés, il participa aux Ferienkurze à Darmstadt et y rencontra Berio, Maderna, Nono et Stockhausen ; enfin, c’est à cette époque qu’il acheva de théoriser son propre langage musical, la métatonalité.
À son retour en France, Claude Ballif travailla aux côtés de Pierre Schaeffer au Groupe de Recherches Musicales de l’ORTF. Puis il entama une éminente carrière d’enseignant au Conservatoire national de Reims puis au Conservatoire national supérieur de musique de Paris, où, de 1971 à 1990, il succéda à Olivier Messiaen dans la classe d’analyse. Les dernières années de sa vie, jusqu’à sa mort en 2004, le virent chargé, par l’État vénézuélien, de rénover fondamentalement sa vie musicale.
Désirant s’écarter des différents mouvements – novateurs ou conservateurs – qui ont scandé l’histoire de la musique occidentale après 1945, Claude Ballif a assis toute son écriture sur le son, en lucide héritier de Debussy et de Varèse. En son esprit, ce son, qui précède tout langage musical, fonde l’être humain et sa relation à la Nature. Formulée autant à l’écoute des cultures musicales orales et extra-européennes qu’auprès de Pierre Schaeffer, cette poétique nourrit la métatonalité, qui dépasse les univers tonal et atonal et qui grouille des potentialités offertes par les micro-intervalles.
En être à la curiosité jamais étanchée et à la savoureuse auto ironie, Claude Ballif eut l’humilité d’honorer les interprètes de sa musique de chambre, non par servilité mais en exaltant leurs aptitudes enfouies : sa série des Solfegietto (un équivalent des Sequenze de Berio) et celle des Passe-temps l’attestent (voire Notes et Menottes destiné à des enfants). Quant à sa musique d’ensemble, orchestrale et lyrique, elle dévoile un inventeur (toute sa vie, il refusa de se qualifier de « créateur ») à la considérable envergure spirituelle, là où le son communique et conduit à l’espace.
Frank Langlois