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Milhaud raconté par le chef d'orchestre Franck Ollu

Milhaud raconté par le chef d'orchestre Franck Ollu

A l'occasion de la commémoration des cinquante ans de la mort de Darius Milhaud le 22 juin prochain, le polyvalent chef d'orchestre et expert de la musique contemporaine Franck Ollu revient sur l'histoire de ce grand compositeur, parcourant ses différentes œuvres et influences.  

« Compositeur incontournable né à l’aube du XXème siècle, Darius Milhaud a collaboré avec les plus grands artistes de son temps. (Picasso, Fernand Léger, Paul Claudel, Blaise Cendrars…)

Il étudia au conservatoire de Paris dans la classe d’André Gédalge où il rencontra Arthur Honegger. « Les nouveaux jeunes » comme aimait les appeler Eric Satie se lièrent d’amitié en dépit du Wagnérisme invétéré de Honegger et l’anti-wagnérisme non moins farouche de Darius Milhaud. Il fut également l’élève de Vincent d’Indy, Charles Widor et de Paul Dukas.

Nommé ambassadeur de France au Brésil entre 1917 et 1918, Paul Claudel proposa à son ami Darius Milhaud de l’accompagner en tant que secrétaire. Il en résultera la création de l’Homme et son Désir inspirée par le passage à Rio des Ballets Russes de Diaghilev avec le célèbre ballet Parade d’Eric Satie.

De son voyage au Brésil, Milhaud gardera l’exaltation des musiques qu’il a pu y entendre. Elles influenceront considérablement son style et enrichiront son éventail rythmique. À partir des années 1920, sa musique fut aussi fortement influencée par le jazz qu’il découvrit et étudia à New-York auprès des afro-américains de Harlem. On peut citer Le Bœuf sur le Toit, Saudades do Brasil, et Scaramouche. En 1922, à peine rentré des Etats-Unis, Blaise Cendrars et Fernand Léger lui proposèrent d’écrire la musique de leur projet de ballet. La création du monde qui fut jouée en 1923 au théâtre des Champs Élysées, et fut dirigée plus tard par Leonard Bernstein. On peut imaginer que cette pièce exerça une influence dans la genèse de son célèbre West Side Story.

Compositeur prolifique, Darius Milhaud écrit son premier Opus en 1910 sur des poèmes de Francis James. Il en écrira 440 autres, jusqu’à sa dernière œuvre la cantate Ani Maamin sur un texte d’Élie Wiesel, composée en 1974, l’année de sa mort.

Artiste a l’idiosyncrasie particulière, il touche à tous les genres, à l’instar de ses contemporains les plus talentueux. On peut le comparer à Stravinsky dans sa manière d’aborder et de s’inspirer des mouvements artistiques de son époque. Son Concerto pour percussion rappelle le Ragtime de Stravinsky. Ils font, tous deux, souvent la part belle aux instruments à vent. La musique de Milhaud est empreinte de néoclassicisme, comme en témoigne son remarquable Concerto pour Alto Op.108, qui fait penser aux Kammermusik de Paul Hindemith. Ses Concertos pour piano sont d’une clarté aussi remarquable que ceux de Saint-Saëns. Autre particularité, Milhaud préfère l’héritage du chant grégorien à celui du chromatisme de Wagner puis de Schoenberg.

On lui attribue souvent l’invention de la polytonalité. D’autres s’y sont aussi essayé, tels qu’Albert Roussel, Charles Koechlin, Charles Ives, Maurice Ravel, Igor Stravinsky, Arthur Honegger, pour ne citer qu’eux. Darius Milhaud en fit, quant à lui, un principe de composition. C’est la polytonalité qui fait l’originalité de sa musique et qui définit son langage, autrement dit, l’emploi au minima de deux lignes mélodiques superposées, en forme de contrepoint, écrites dans des tonalités différentes. Il recourt également à la polyrythmie. Il s’agit là de l’utilisation d’au moins deux motifs rythmiques simultanés de structures différentes. C’est sa manière d’être moderne, n’ayant jamais été attiré ni par le dodécaphonisme ni par l’atonalité. En ce sens, on peut rapprocher ses recherches, au moins pour le concept, à celles du compositeur américain Charles Ives.

Il lui arrivait parait-il, de composer l’été la fenêtre ouverte, laissant passer les bruits de l’avenue de Clichy, là où il vécut la plupart de sa vie. Aussi, pouvait-il entendre les bruits de klaxons lorsqu’ils envahissaient son espace créatif. Cela relève de l’anecdote, mais révèle à mon sens, un trait original de sa personnalité et expliquerai la présence sonore de klaxons dans le 2ème mouvement de son Concert de chambre pour piano et orchestre Op.389.

L’art de Milhaud offre une grande variété de registres. Plus connu pour sa musique de divertissement, il composa également des œuvres dramatiques telle que son opéra Orestie d’Eschyle, triptyque incluant I. Agamemnon (1913), II. Les Choéphores (1915) III. Les Euménides (1922), dans une traduction française de Paul Claudel. Cette pièce écrite pendant une dizaine d’années et nécessitant l’emploi de 15 percussionnistes inspirera peut-être Ionisation d’Edgard Varèse en 1931 ou bien encore Oresteia de Xenakis en 1965. Il faudra attendre 1963 pour entendre la version complète de l’Orestie d’Eschyle. » Franck Ollu, le 26 avril 2024

 

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