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A Librarian’s Choice #3

A Librarian’s Choice #3

Les troubles et les bouleversements politiques du XXème siècle, avec les deux guerres mondiales et d'autres crises mondiales et nationales, ont marqué les créateurs et créatrices de musique ainsi que les parcours de vie des compositeur·rice·s de cette époque de manière imprévue et parfois tragique. Nous présentons ici cinq œuvres de compositeur·rice·s qui ont abordé des thèmes très spécifiques, non conventionnels et personnels dans leur musique.

Manuel Martinez-Sobral : Acuarelas Chapinas
3 / 3 / 3 / 3 4 / 3 / 3 / 1 timb - perc - 2 hpe - cél cordes 
1907, 26 min
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L'œuvre de ce compositeur guatémaltèque (1879-1946) était presque entièrement oubliée avant que Rodrigo Asturias ne la redécouvre et la rende accessible en 1989. Le compositeur lui-même n'a composé que jusqu'à l'âge de 42 ans, puis a exercé une activité de juriste. De fortes influences de la musique de salon de Chopin, associées à des réminiscences de la musique régionale traditionnelle du Guatemala, indiquent un contexte musical très spécifique. Les "Acuarelas chapinas" sont des scènes musicales d'un dimanche typique de Guatemala City, composées à l'origine en 1903 pour piano solo et orchestrées par le compositeur en 1907. Les quatre mouvements individuels nous emmènent en promenade dans le parc, à la messe, à l'heure du cocktail et au coucher du soleil. Il convient de souligner la construction harmonique très bien conçue du deuxième mouvement ainsi que la valse entraînante du dernier mouvement. Un très bel exemple de compositeur latino-américain qui, détaché de l'avant-garde européenne, a suivi sa propre voie. Il est intéressant de noter que Martinez-Sobral n'a très probablement jamais eu connaissance de la modernité française autour de Debussy et Ravel de sa vie. 

Mel Bonis : Le rêve de Cléopâtre. Nocturne 
3 / 3 / 2 / 2 — 4 / 2 / 3 / 1 — timb. - 2 perc. - 2 hpe — cordes (divisées)
11 min
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Plus ou moins contre la volonté de ses parents, Mélanie Bonis (1858-1937) se battit pour faire ses études au Conservatoire de Paris, où elle étudia dans l'entourage de Chausson, Pierné ainsi que Debussy. Elle est l'une des rares femmes compositrices de son époque à avoir développé un style très personnel, proche du romantisme tardif. Elle devait publier ses œuvres sous le pseudonyme "masculin" de "Mel Bonis". Dans "Le Rêve de Cléopâtre", elle s'intéresse à la figure féminine mythique qui donne son titre à l'œuvre et reflète pour ainsi dire dans sa musique la place de la femme dans la société. Cette réflexion très personnelle ne présente aucun exotisme ou orientalisme dans le style musical, ce qui était pourtant courant à l'époque pour un tel sujet. Au lieu de cela, c'est une musique chromatiquement captivante et extrêmement psychologisante qui prédomine.

Jean Cras : Journal de Bord
3 / 3 / 3 / 4 — 4 / 3 /3 /1 —  timb. - 4 perc. - 2 hpe  cordes
1927, 28 min
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Un autre compositeur à la biographie très particulière est le compositeur breton Jean Cras (1879-1932), qui a fait toute sa vie carrière professionnelle dans la marine et ne composait "que" pendant son temps libre. Musicalement, il est fortement influencé par son seul maître, Henri Duparc. Dans nombre de ses compositions, les influences maritimes jouent un rôle important, comme dans sa suite symphonique "Journal de Bord", quasiment un compte-rendu d'un véritable voyage en bateau qu'il a effectué. Les différentes parties portent ainsi les titres "Quart de 8 à minuit", "Quart de minuit à 4" ainsi que "Quart de 4 à 8". De nombreuses annotations de la partition sont issues du monde de la navigation et rendent compte des différentes ambiances de la mer, du vent, des vagues et du temps. La musique est hautement dramatique, marquée par le romantisme tardif. D'élégantes mélodies de cordes s'élèvent au-dessus de motifs musicaux imagés et illustrent ainsi de manière fascinante des réflexions sur l'expérience de la nature.

Leo Weiner : Pastorale, Phantasie et Fugue (EMB)
pour orchestre à cordes 
1938, 20 min
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Le compositeur hongrois d'origine juive Léo Weiner (1885-1960) a été interné comme travailleur forcé par les nationaux-socialistes au cours de la Seconde Guerre mondiale et de l'occupation allemande de la Hongrie, et n'a été libéré par l'Armée rouge qu'à la fin de la guerre. C'est précisément dans ce contexte qu'il est impressionnant de constater la légèreté apparente et souvent humoristique de la musique de Weiner, toujours composée de manière dansante et délicate. Ce n'est qu'au deuxième coup d'œil que se révèle une mélancolie qui transparaît régulièrement ainsi que des changements d'ambiance soudains. Du point de vue du style musical, on retrouve de nombreuses influences de la musique traditionnelle hongroise, mais aussi des influences de Bartok et de Stravinsky dans la composition. La musique de Weiner reste cependant toujours très accrocheuse, comme la Pastorale, Fantaisie et Fugue (1938), dont les mélodies très proches prennent toujours des tournures surprenantes lorsqu'on y regarde de plus près..  La brillante fugue finale est basée sur la mélodie d'une chanson hongroise à la cornemuse.

Bohuslav Martinu : Thunderbolt P-47, Ouverture, Rapsodie tchèque 
3 / 3 / 3 / 3  4 /3 /3 /1 —  timb. - 2 perc. — cordes 
1945, 11 min

 

Le compositeur tchécoslovaque Bohuslav Martinu a lui aussi été banni de son pays par les nazis. Vivant à Paris depuis 1923, il a émigré aux États-Unis à partir de 1940, avec quelques étapes intermédiaires, lorsque l'invasion de la France par les troupes allemandes se profilait à l'horizon. On trouve dans son œuvre des œuvres très diverses aux thèmes parfois très peu conventionnels. L'une d'entre elles est "Thunderbolt P-47", un hommage aux avions de combat monoplaces américains qui ont contribué à mettre fin à la Seconde Guerre mondiale. Des mouvements d'hélices musicalement imagés, avec des figures de doubles croches qui s'élèvent et tournent sur elles-mêmes, associés à des sons de cuivres qui s'intensifient de manière martiale, créent une sonorité très particulière dont la source d'inspiration est toujours évidente. Entre des hémioles et une mesure à trois temps, une mélodie de cordes enivrante l'emporte à la fin. Un remerciement musical très personnel et particulier d'un compositeur émigré qui, en raison de son thème très spécifique et de la cohérence et de la concision avec lesquelles il est traité, a acquis une certaine stabilité dans les programmes internationaux.

 

 



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