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Alberto Posadas, Cycle

Alberto Posadas, Cycle "Poética del espacio"

Alberto, vous aimez travailler par cycle d'oeuvres reliées entre elles mais néanmoins interprétables de manière indépendante. Nous avons déjà eu l'occasion d'aborder cette particularité dans votre catalogue mais plus rarement de vous poser la question de savoir comment vous décidez qu'un cycle est achevé ? Est-ce planifié dès le début de l'écriture ou bien cela s'impose-t-il dans le processus de composition ?   

 

Chaque cycle que je compose est un cas particulier, mais en général, j’estime avoir terminé un cycle une fois que j'ai en tête une idée du projet entier, ce que j'essaie d'avoir avant même d’écrire la première mesure de la première pièce. J'ai besoin de presque tout contrôler à l'avance. Composer un cycle ce n'est pas simplement composer plusieurs pièces destinées à être interprétées l'une après l'autre. Pour moi, il est essentiel de construire une relation entre les pièces et d’avoir le temps nécessaire pour les développer à l'avance. C'est pourquoi je passe beaucoup de temps à planifier l'ensemble du projet avant d’écrire les partitions.

Le processus d’écriture sert à affiner et parfois aussi redéfinir les idées, et affronter les conflits internes liés à chaque pièce. Certains aspects sont remodelés ou modifiés lorsque l’idée abstraite s’incarne dans la partition. Je suis toujours ouvert à la découverte de quelque chose de nouveau lors de l’écriture de chaque pièce, mais la plupart du temps (à quelques exceptions près), l’idée originale n’est pas changée de façon spectaculaire mais plutôt mise en œuvre.

Par exemple, dès le début, je voulais relier la dernière pièce de Poética del espacio à l’espace cosmique, et seulement quelques semaines avant de commencer l’écriture de cette pièce, la première photographie d’un trou noir a été publiée. J'ai accordé plus d'attention à ces phénomènes et j'ai appris certaines choses que j'ai trouvées utiles pour mieux travailler le matériau musical. Ceci n'était pas prévu depuis le début mais est apparu au cours du processus de composition.

 

Quels éléments relient les quatre pièces du cycle Poetica del Espacio ? Quels éléments au contraire les différencient et soutiennent l'individualité de chaque oeuvre ?   Pourriez-vous nous donner quelques clés d'écoute ?

 

La force motrice qui unit les pièces est la façon dont l'expérience de l'espace au cours de l'écoute a une dimension intrinsèquement poétique.

D'une certaine manière, l'espace impose toujours quelque chose à l'écoute. Par exemple, la réverbération de la salle peut modifier considérablement la perception de l’œuvre ou même sa performance. Mais dans ce cas, l’espace est un facteur externe, non lié à la pièce elle-même. Dans Poética del espacio, j’étais plus intéressé par l’utilisation de l’espace comme paramètre de composition et comme moyen de proposer différentes approches pour expérimenter l’espace à travers le son. De ces approches, clairement différenciées dans chaque pièce, émergent leur individualité. L’évolution de la localisation des musiciens dans la salle au cours du cycle contribue également à mettre en évidence cette individualité, car ces localisations ont également façonné la structure interne des pièces, en plus de créer différentes dispositions spatiales.

 

Quelle forme dramaturgique se déploie de la première à la dernière pièce ? En quoi l'écoute du cycle complet, interprété pour la première fois aux Donaueschinger Musiktage cette année, révèle-t-elle des échos, des relations, des contrastes, des oppositions peut-être, qui ne pourraient être entendus à l'audition de chaque pièce individuellement ?

 

La structure dramaturgique évolue de l'expérience explicite du mouvement sonore vers la charge poétique de l'expérience ressentie. Dans les deux premières pièces, le déplacement du son, perceptible de manière très explicite, façonne la forme, le matériau et son évolution dans le temps. En revanche, la troisième pièce tend vers un territoire de l’intuition, où un nouveau monde sonore émerge de la transformation de l’espace acoustique intérieur de certains instruments. Finalement, dans la dernière pièce, nous occupons virtuellement un monde construit en parallèle de certains phénomènes de l’espace cosmique que nous ne pouvons pas découvrir dans la réalité.

 

Il y a une autre couche dramaturgique créée par les quatre Intermezzi interpolés entre les pièces, basée sur une exploration physique de l'espace alors que les interprètes, qui étaient initialement situés dans plusieurs endroits différents de la salle, convergent inexorablement sur la scène.

 

Le contraste est un pilier fondamental pour créer ces aspects dramaturgiques. Contraste en termes de composition instrumentale, d’emplacement des musiciens dans la salle, de mouvement du son ou des interprètes, de matériaux musicaux, de concept et de traitement de l’ensemble, etc.

Mais comme nous avons un cycle de pièces, les liens, les rappels et l’anticipation créent des repères pour la mémoire. Les matériaux, les évolutions et même les structures harmoniques de la première pièce réapparaissent jusqu'à la fin du cycle. Toujours transmutés et avec une fonction différente, créant sans cesse des ponts qui nous mènent vers un endroit différent.


Informations

Photo : © Harald Hoffmann


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